LA CONNERIE

À pied, à cheval, en voiture ou sur une bicyclette, dans les bouillonnants repas de famille ou entre amis, les cons n'apprennent pas de leurs erreurs. Mais nous serions fort inspirés de traquer leurs reflets en nous-même. Ils sont les miroirs à peine déformants dans lequels nous pouvons nous reconnaitre.
Se croire épargné par le phénomène est toujours un très mauvais signe. Sage ou intelligent, c'est celui qui le dit qui n'y est pas...

La connologie pour les nuls

Comment peut-on aimer un connard, une connasse

Les significations et connotations de cette insulte ne sont pas les mêmes d'une langue à l'autre.

En français, con vient du grec "Koniklos" et du latin "cunnus" qui désignaient un terrier, une galerie, et par analogie le sexe de la femme. Ils n'avaient rien de péjoratif à l'origine. Con est devenu une insulte en étant confondu vers les 17 et 18 siècles avec "cornard" (qui est cocu), puis "connard".

Trop sexiste à l'étranger, il est traduit par des jurons plus familiers, comme idiot, imbécile, tête de nœud...

Un exemple en est donné par la traduction du célèbre "casse toi, pauvre con" de Nicolas Sarkozy. Ils ont cherché une insulte plus banale et moins violente.

Mais d'une façon générale, toutes ses traductions évoquent la rhétorique de la dégénérescence. " Bastard" ("bâtard" en français) fait référence aux naissances hors mariage et au métissage, tandis que "bloody idiot" suggère que la connerie se transmet par le sang. "Assole" a une dimension scatologique et hygiénique évidente, mais peut aussi évoquer la pratique de la sodomie te de l'homosexualité masculine.

Prises dans leur ensemble, ces connotations laissent ainsi entendre que des pratiques sexuelles jugées comme déviantes engendreraient une tare hériditaire, une forme d'imbécilité qui se transmettrait de génération en génération. le con serait le fruit de cette lignée, condamné à engendrer des enfants aussi cons que lui.

L’exploration d’un objet aussi retors et protéiforme que la connerie s’annonce fatalement grossière, au double sens d’impolie… et d’approximative. Quelle méthodologie déployer pour élaborer et tester des hypothèses ? Comment constituer des cohortes de cons à suivre au long cours en les comparant à des groupes témoins ? Qui diable, du reste, se proclamerait suffisamment épargné par le phénomène pour mener les recherches ? Si les sciences dures se trouveraient vite dans une impasse, les sciences humaines, en revanche, ont leur mot à dire : psychologues, sociologues, philosophes, historiens, politistes, linguistes et consorts apparaissent légitimes pour débroussailler la connerie vaille que vaille, son expansion individuelle et collective, ses origines, ses conséquences et nos représentations en la matière.

Premier constat, imparable : sa géométrie variable rend le con (et toujours nous sous-entendrons : la conne) difficile à cerner. Il n’existe aucun con-étalon universellement reconnu comme tel. Le con est une question de point de vue subjectif : chacun le sien. Le con de mes amis n’est pas toujours mon con. Il est proche (trônant parfois dans notre propre famille) ou lointain (un irresponsable au pouvoir). Le con est multiple, mais, par quelque bout qu’on le prenne ou qu’il nous tienne, il nous nuit, nous gâche l’instant présent ou toute notre existence, nous entrave, nous étouffe, nous encombre, s’acharne ou nous ignore. On reconnaît le con au fait que la vie serait si belle sans lui. S’il n’existait pas, on pourrait se réinventer.

La connerie se ramifie, la bêtise (ou déficit d’aptitude intellectuelle) n’est pas la sottise (fatuité ou prétention), encore moins la débilité, l’imbécillité ou l’idiotie (issues toutes trois du jargon médical du 19e siècle pour désigner un retard mental). Le con n’est pas toujours inculte, il a parfois des lettres : on peut sortir de Saint-Cyr ou de la cuisse de Jupiter et se conduire en pédant ou gougnafier, se révéler brillantissime dans un domaine et embarrassant dans un autre par ignorance, arrogance ou maladresse. L’éclipse de la raison par l’émotion ne rend pas con, les deux étant aussi complémentaires qu’indispensables pour faire face à une situation d’incertitude. Raisonner sans émotions du tout ? Contre toute attente, c’est déconner.



"Connes et cons" sans frontières

Si ces tristes sires sont partout, c'est souvent en famille qu'ils sont les plus difficiles à supporter. Et en plus, nous nous reprochons de mal les aimer !

Soyons honnêtes, personne n'a envie d'aimer un connard. Qualifier l'autre de connard, c'est même dresser symboliquement une barrière entre les gens bien (dont nous sommes, évidemment) et lui. Mais parce que les sentiments s'en mêlent, les choses sont moins simples en famille. Notre société montre une croyance trés forte en une idéologie familialiste, selon laquelle la famille est un refuge où tout le monde doit s'aimer. À cette injonction sociale s'ajoute pour les enfants, un processus psychobiologique de l'attachement. Tout enfant s'attache à la personne qui l'élève même si celle-ci agit de manière inadéquate voire toxique. Et coté parent entre amour et sens du devoir, le lien perdure envers et contre tout.

Reste l'énigme des relations conjugales, comment expliquer que l'on puisse tomber amoureux (amoureuse) d'un connard ? Il semble que cela soit par ignorance, aux premiers temps d'une relation, on se présente à son avantage, et les connards aussi. De plus, les neurosciences ont montré quand présence de l'être aimé l'amygdale (zone cérébrale spécialisée dans la détection des dangers) s'éteint, l'amour ne rend pas aveugle mais sacrément myope...

La figure du connard machiste reste également associée à une sorte de virilité et donc séduisante pour certaines femmes, mais cette posture de domination s'avère toxique pour les femmes comme pour les hommes. De même la belle idiote peut séduire certains.

L'amour est un sentiment involontaire, on ne peut pas s'obliger à aimer, ni à ne plus aimer, même quand l'autre se comporte comme un connard...

Agressifs, gauches, avachis, inconscients, maladroits... Il faut bien que la jeunesse se passe, dit-on. Et si les clichés des parents provoquaient ce qu'ils redoutent ?

Les théories sur l'adolescence sont assez récentes, et ne sont pas sans conséquences sur l'objet qu'elles étudient, en sciences humaines, on observe et analyse  des personnes qui ne manqueront pas d'adopter, en partie, des comportements en réaction précisement à l'analyse que l'on fait d'elles.

L'adolescence est vue comme une période transitoire, entre bébé et adulte et cela rend difficile le dialogue. Elle est vue également comme une population en crise, être normal pendant cette période c'est être anormal. Voici la double peine infligée à nos adolescents, si nous les considérons comme des spychopathes ils se comporteront comme tels. Nous devons être conscient que si il y a crise, elle est plus de la relation qu'intrinsequement celle d'adolescents renfrognés.

"Ce qui se joue, c'est en réalité la découverte du pouvoir "dit le chercheur en science de l'éducation Philippe Meirieu. Découverte vertigineuse s'il en est, et qui explique grand nombre de leur comportement. Quand ils regardent ce monde qui les attend avec plus ou moins de bienveillance, ils passent par des émotions diverses et intenses (comme n'importe quel individu quel que soit son âge).

Les sensations ambivalentes qu'ils ressentent les rendent vulnérables, à nous adultes d'être à côté d'eux et non entre eux et le monde.

Alors nous les trouverons forcément moins bêtes et eux nous trouveront sûrement moins cons...

Adolescence : âge bête ou âge à la con ?

Est-on plus con en troupeau ?

Quand la connerie se partage, elle se multiplie. Mais par quels mécanismes ? Comment se prémunir du phénomène ?

16% des Français pensent que les Américains ne sont jamais allés sur la lune, 9% que la terre est plate, avec une majorité de moins de 35 ans. En août 2020, tout un quartier de Cannes s'est mis en fuite à cause d'une fusillade qui n'a jamais eu lieu... Mais parfois c'est l'immobilisme qui se propage : Dans une salle de cinéma, lorsqu'on déclanche une alarme, au lieu d'un mouvement de fuite, c'est plutôt l'absence de réaction qui a tendance à se transmettre. Dans ces deux cas, on assiste à une chaîne de transmission par imitation. Chacun regarde son voisin et fait comme lui. Sur les réseaux sociaux, nous avons tendance à nous entourer de personnes qui nous ressemblent, à former un "cluster" d'opinion. Donc une information même idiote et fausse va avoir tendance à se trouver confirmée par l'acceptation ou le renforcement de l'avis de l'autre.

La recherche identitaire est un phénomène que l'on retrouve chez les complotistes, tout en mettant en doute les sources d'autorité traditionnelles, instances officielles, scientifiques, politiques. Tout en croyant à des inepties, ils se placent au dessus des autres, ils savent des choses que les autres ne savent pas...
Le complotiste comble le besoin d'appartenir à un collectif qui le valorise.

La bétise est-elle une marchandise ? Dans les émissions de téléréalité, au départ, il suffisait d'enfermer une bande de jeunes naïfs dans une maison avec une piscine et de l'alcool. Aujourd'hui, ce sont les phrases les plus stupides et (ou) les plus violentes et trash qui font recette

Sur internet, des défis de plus en plus improbales et dangereux font le buzz. Pedro, jeune Américain, pour briller sur YouTube a demandé à sa copine de lui tirer dessus avec un pistolet, se pensant à l'abri derrière un annuaire, il en est mort. Parfois le ridicule tue !



Ils sont souvent accusés de nous tirer vers le bas. de nous rendre plus cons... à moins qu'ils nous montrent simplement tels que nous somme ?

Peu avant sa mort, Umberto Eco disait, "Les réseaux sociaux donnent la parole à des légions d'idiots qui ne parlaient avant que dans les bars aprés un verre de vin, sans nuirent à la communauté. Ils étaient immédiatement réduits au silence alors qu'ils ont désormais le même droit à la parole qu'un lauréat du prix nobel, c'est l'invasion des imbéciles".

Et pourtant au début d'internet la vision dominante était radieuse, souvent de manière extatique. Et on pensait que l'utilisation d'internet allait accroire l'intelligence humaine...
Mais en 2021, nous ne sommes pas plus intelligents, nous ne faisons pas de meilleurs choix.

Grâce aux réseaux sociaux, nous sommes assuré d'y trouver une bétise contre laquelle raler, et ce vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept  jours sur sept. Ce qui retiendra notre attention au détriment du reste.

Mais les études sur les liens entre réseaux sociaux et ce vaste trou noir qu'est la connerie sont plutôt nuancées, et peu propices à des conclusions lapidaires. Une étude récente montre que si Twitter exerce un  impact positif sur l'aquisition de connaissance, à l'inverse Facebook a un effet négatif. Les réseaux sociaux, en tant que tels n'ont pas un effet uniforme. Dire que les réseaux sociaux rendent cons, revient à dire que les médias rendent cons, Wikipédia, par exemple peut être considéré comme un réseau social, et il a permis des partages de liste de lecture pendant la pandémie, et donc de se confiner connectés, mais un peu moins con...

Réseaux sociaux, un torrent de connerie ?

Homo sapiens, de moins en moins sapiens ?

L' évolution de notre cerveau à long terme et celle du QI à court terme donnent des indices... contradictoires.

Question cruciale tout d'abord : durant les quelques 300 000 ans d'histoire d'Homo  sapiens, la sélection naturelle a-t-elle contre-sélectionné les cons ?

(Pour mémoire, Homo sapiens, plus communément appelé « Homme moderne », « Homme », « Humain », ou « Être humain », est une espèce de primates  qui s'est aujourd'hui répandue et naturalisée sur l'ensemble de la planète hormis l'Antarctique. Il appartient à la famille des hominidés et est le seul représentant actuel du genre Homo, les autres espèces étant éteintes. Les plus anciens fossiles connus de cette espèce, découverts sur le site marocain de Djebel Irhoud, sont datés d'environ 300 000 ans).

Sur cette longue période, il semble que oui, au moins pour certaines fonctions. Des régions du cerveau se sont développées, les lobes pariétaux et le cervelet, lesquels sont impliqués dans des fonctions cognitives variées, traitement des quantités numériques, utilisation des outils pour les lobes pariétaux et pour le cervelet, cognition sociale, language, raisonnement...

Mais sur une période beaucoup plus courte (depuis l'an 2000), les études constatent une baisse du QI dans les pays dit "développés". En france 4 points entre 1999 et 2009, vraisemblablement du à un manque de stimulation intellectuelle, addiction aux écrans, environnement culturel appauvri, mais également action des pertubateurs endocriniens qui modifient l'expression des gènes.

Dégrader sciemment son milieu de vie est pour l'espèce Homo sapiens un signe de sa connerie spécifique, ce qui nous empêche pas de proliférer, bientôt nous seront huit milliards sur cette planête, donc il y aura de plus en plus de cons sur terre. Heureusement les autres aussi se multiplient...

Les fameux biais cognitifs sont notre lot à tous : ces erreurs de logique et autres raccourcis automatiques de la pensée se trouvent au cœur de nombreuses études sur la stupidité de l’Homo autoproclamé sapiens. Nous les collectionnons, du biais de confirmation (ne retenir que ce qui conforte notre opinion) au biais de négativité (laisser ce qui nous dérange éclipser tout le reste), en passant par le biais de complaisance (se trouver des excuses) ou les illusions de causalité (entre phénomènes concomitants mais indépendants).

Il faut une certaine dose de compétence pour se rendre compte de son incompétence. Plus nous creusons un sujet, plus nous nous rendons compte de sa complexité. Et moins nous en savons sur un sujet plus nous aurons tendance à en parler avec assurance, c'est l'ultracrépidarianisme.
L'absence de compétence nous invite à adopter une vision simpliste des choses et donc à surestimer nos compétences.

Nous avons tous un avis sur la politique économique de notre pays, mais avons-nous de réelles compétences pour juger l'action de notre gouvernement ?

Donc pour être moins con, commençons par identifier nos biais de raisonnement...

Dans Le Gai Savoir (1882) Friedrich Nietzsche crédite la philosophie de s'être, dès l'origine,  élevée contre la connerie. Gilles Deleuze définira dans Nietzsche et la philosophie (1962) la tâche de cette discipline avec une agressivité assumée : " Elle sert à nuire à la bêtise, elle fait de la bêtise quelque chose de honteux. Elle n'a pas d'autre usage que celui-ci : dénoncer la bassesse de la pensée sous toutes ses formes."

La philosophie permet de dénoncer le rationalisme rigide et conformiste, les croyances présentées comme des certitudes et des vérités absolues. Face à la connerie, il faut faire preuve de souplesse tout en ne concédant rien sur le fond.

L'ignorance est soluble dans l'apprentissage, la connerie repose sur la certitude de ne pas être concerné, elle défend des convictions présumées acquises et indubitables. Elle ne doute de rien et croit tout savoir.

Trop près des cons, on se fait mal en même temps que notre propre connerie les blesse, trop éloignés les uns des autres, nous sommes condamnés à la solitude et à un ennui mortel.

Nous sommes toujours le con de l'autre, mais cela n'exclut pas les liens d'amitié et d'amour. Un ami est quelqu'un qui connait tout de vous, et continue cependant à vous aimer..

Les biais cognitifs et le sentiment d'infaillibilité, une clé de la connerie

La philosophie, un moyen de résistance à sa propre connerie et à celle des autres

(Inspiré par sciences humaines n° 331)